De nouveaux rois pour un ancien royaume
Les conflits de partition de la Navarre, au début du XVIe siècle, entraînèrent un profond bouleversement au sein du royaume. La couronne navarraise se réorganisa autour de la seule province de Basse-Navarre. Un renversement d’alliance fut amorcé, la Navarre s’alliant, peu à peu, à la France face à l’ennemi espagnol. Les alliances matrimoniales et les nouvelles relations familiales scellèrent cette nouvelle destinée.
En 1572, le fils de Jeanne d’Albret, devint roi sous l’étiquette de Henri III de Navarre. L’assassinat de Henri III de France en 1589 le propulsa roi de France. Couronné en 1594, sous le nom de Henri IV roi de France et de Navarre, la symbiose entre les deux royaumes fut instaurée. En octobre 1620, Louis XIII officialisa l’union de la Navarre à la France.
Au débouché des Ports de Cize
Les XVIIes et XVIIIes siècles sont marqués par une rivalité acerbe opposant le royaume de France et la couronne d’Espagne. En sa qualité de ville-frontière et place forte stratégique, Saint-Jean-Pied-de-Port fut un maillon essentiel du dispositif défensif de la France. En effet, Saint-Jean-Pied-de-Port contrôlait le débouché de nombreux cols, permettant le franchissement des Pyrénées. Noeud routier, elle était établie à égale distance de villes importantes de France et d’Espagne, à quatre lieues de la collégiale de Roncevaux, huit lieues de Bayonne, dix lieues de Pampelune et treize lieues de Pau. Tous les stratèges militaires louèrent cette position, au premier rang desquels Vauban qui la décrit comme nichée « au pied des grandes montagnes à l’entrée du fameux défilé de Roncevaux, le seul passage un peu raisonnable qu’il y ait pour entrer dans la Haute Navarre ». C’est pourquoi, la cité bénéficia de l’attention constante des rois de France.
D’un château fort à une citadelle bastionnée
Confrontées aux avancées de l’artillerie de la fin du Moyen Age les fortifications médiévales devinrent insuffisantes. L’importance stratégique de la ville de Saint-Jean-Pied-de-Port rendit nécessaire l’amélioration du dispositif fortifié. Une citadelle fut donc édifiée à l’emplacement du château médiéval.
C’est dans un contexte de tension entre la France et l’Espagne, que Louis XIII mena sa politique de fortification de la frontière pyrénéenne, dont la construction d’une citadelle à Saint-Jean-Pied-de-Port représentait un maillon important. La citadelle bastionnée primitive fut construite entre 1625 et 1627, vraisemblablement sous la direction du Directeur Général des Fortifications de la région, Pierre de Conty de la Mothe d’Argencourt.
Le premier état de la citadelle se présentait, dans ses grandes lignes, sous sa forme actuelle, à savoir un corps de place rectangulaire ceint de remparts sur ses quatre côtés et renforcé d’un bastion à chaque angle. Les bâtiments intérieurs se réduisaient au pavillon de la porte royale, flanqué de deux ailes de casernement et de deux magasins à poudre à chaque extrémité. Le front ouest, face à la ville, était défendu par une demi-lune.
Une nouvelle phase de construction s’opéra vers les années 1640. L’enceinte fut consolidée et achevée. Les bastions, bâtis trop rapidement avec des parements trop fragiles, furent reconstruits. Ses potentialités opérationnelles furent augmentées par la construction de bâtiments périphériques entre la motte féodale et les remparts. Les extérieurs de la citadelle furent bonifiés par l’aménagement d’ouvrages en terre sur le front est.
Commissaire Général des Fortifications du roi Louis XIV, Vauban reçut l’ordre d’inspecter les places fortes des Pyrénées occidentales. Lors de sa venue en 1685, il porta un œil très critique sur la citadelle de Saint-Jean-Pied-de-Port, soulignant ses points forts et ses faiblesses. Il livra une étude ambitieuse pour améliorer ses capacités défensives et offensives Malgré la somme investie, les contraintes financières de la trésorerie royale ne permirent pas une réalisation intégrale du projet.
Les travaux commencèrent dès 1685 sous la direction de l’ingénieur François Ferry. Le donjon médiéval et sa motte furent détruits, permettant ainsi l’aménagement d’une place d’armes intérieure et la construction de nouveaux bâtiments. Ainsi, un ensemble cohérent fut mis en place, la citadelle disposant d’une place d’armes interne, de logements du lieutenant du roi, du major, d’officiers, de soldats et d’un arsenal. Conformément à sa volonté de systématiser les souterrains, tous les casernements nouveaux furent construits au dessus de salles voûtées.
Une grande partie des préconisations non réalisées du temps de Vauban fut reprise par les ingénieurs, tout au long du XVIIIe siècle. Une dernière campagne de travaux intervint en 1728, donnant définitivement à la citadelle son visage actuel. Sur le front est, une demi-lune dite de secours fut élevée. L’intérieur de la citadelle fit l’objet de quelques aménagements destinés à améliorer la vie de la garnison. Deux fours à pain et une citerne furent aménagés dans les souterrains de la citadelle.
C’est donc en 1728 que s’acheva le processus de construction de la citadelle, fruit d’une élaboration progressive de plus d’un siècle, entre 1625 et 1728.
La survivance du parcellaire médiéval
Saint-Jean-Pied-de-Port a connu un formidable accroissement démographique au cours des XVIIe-XVIIIe siècle. Ces deux siècles consacrent l’embellissement et la multiplication des constructions à Saint-Jean-Pied-de-Port.
Le cœur historique n’a que très peu changé depuis ces temps reculés. Héritée du modèle des bastides du Moyen Age, la ville moderne s’ordonne autour de ces deux axes majeurs, les actuelles rues de la Citadelle et d’Espagne. La trame parcellaire médiévale en lanières étroites et profondes a été préservée. La grande majorité des maisons est caractérisée par une façade sur rue étroite, une face latérale profonde et des jardins ou lopins de terre à l’arrière.
Le charme de la vieille ville vient en très grande partie de la qualité de son patrimoine bâti, particulièrement bien conservé. Les maisons des rues de la Citadelle et d’Espagne, n’ont été que très peu modifiées. Certaines bâtisses ont gardé des éléments médiévaux, tels les étages à encorbellement et pans de bois.
Les maisons construites ou reconstruites aux XVII-XVIIIes siècles incarnent le principal du patrimoine architectural. Elles se caractérisent par la très grande harmonie des façades sur rue. Les larges avant-toits supportés par des chevrons sculptés, parfois accompagnés de frises finement ciselées s’échelonnent en escalier suivant la pente. Le décor est apporté également par l’appareil de maçonnerie, employant systématiquement la pierre locale, le grès rose de l’Arradoy.
Bien des inscriptions sculptées sur les linteaux des maisons attirent l’œil. Une date, celle de la construction ou restauration, couronne la porte d’entrée. Leur propriétaire et leur métier peuvent être évoqués. Des symboles religieux ou encore des motifs répandus dans l’art lapidaire basque, lauburu, rosaces… animent également ces vieilles pierres.
Artisans et commerçants
La vie économique était florissante et prospère. Saint-Jean-Pied-de-Port tira habilement profit de sa position géographique, lui permettant de se hisser au rang de grande place commerciale. Tous les observateurs soulignent cette vocation réelle et dépeignent un tissu économique dense, dynamique et diversifié.
Au niveau alimentaire, la ville pouvait compter sur ses boulangers. Ils étaient abondamment fournis en farine grâce aux moulins de la ville. Fidèles aux exigences de la municipalité, le pain était cuit dans les deux fours à ban de la ville, situés au bout des rues de France et d’Uhart. Les nombreux bouchers se chargeaient des denrées carnées.
L’activité textile était représentée par un important cortège d’artisans. Des tailleurs et des tisserands étaient installés en ville. Les métiers du cuir étaient composés de la très grande communauté des cordonniers. La branche du textile, établie en nombre à la rue d’Espagne, entretenait une étroite relation avec les eaux de la Nive et du Laurhibar. Les tanneurs devaient traiter les peaux pour ensuite les rendre imputrescibles. Les draps devaient faire l’objet de plusieurs bains. En outre, l’eau était indispensable pour réaliser et appliquer la teinture.
Les nombreux travaux dans la ville et la citadelle procuraient une intense occupation aux maçons, menuisiers et charpentiers. Ces artisans satisfaisaient aux exigences de la population civile et militaire. La richesse minière du pays favorisait l’implantation de forgerons et maréchaux-ferrants, maniant le marteau et l’enclume pour façonner différents produits. Le chaudronnier réalisait les ustensiles ménagers et le coutelier fabriquait les couteaux, rasoirs, ciseaux.
L’incontournable métier de marchand occupait beaucoup de monde. Des marchands venaient de tous horizons pour élire domicile et s’affairer en notre ville : du Couserans, de Gascogne, du Clermontois ou de Comminges.
Le marché hebdomadaire constituait un rendez-vous incontournable pour les Saint-Jeannais et les populations limitrophes. Les artisans, commerçants, marchands ambulants et agriculteurs s’y réunissaient pour vendre leurs produits durant cette journée considérée la plus productive de la semaine. Bétail, volailles, viandes, fromages, produits maraîchers contentaient les nombreux chalands ou simples passants. La ville trépignait et les nombreux cabaretiers accueillaient généreusement ces hôtes pour un repas ou une boisson. Cantonné au Moyen Age à l’intérieur de l’enceinte fortifiée face à l’église Notre-Dame, le marché fut déplacé au XVIIIe siècle à l’extérieur des murs, à son emplacement actuel.